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Bonjour et Bienvenue à toutes et à tous sur le blog du projet "Correspondance d'Autrefois". L'aventure commence avec 23 participantes, un magnifique panel de 27 personnages et 15 passionnantes correspondances à suivre...


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A très bientôt pour suivre toutes ces belles lettres...

28 juin 2011

Troisième lettre de Frances à Constance



Ma chère Constance,

Votre lettre a provoqué en moi une forte indignation. J'imaginais cette Emily futile et vaine, et voilà que je la découvre vile et calculatrice ! Cette demoiselle s'avère en tout point absolument indigne d'être la femme d'un gentleman tel que votre frère. Je ne peux que vous féliciter d'avoir rendu son caractère public et je ne comprends guère le mécontentement de mon oncle, qui au contraire aurait dû vous féliciter et vous remercier plutôt que vous blâmer. Après tout, qu'en aurait-il été le jour où cette affaire aurait été connue si votre frère et cette indigne créature avaient été fiancés ? Je n'ose imaginer l'humiliation qu'il aurait eu à essuyer. Vous avez en cette circonstance fait preuve d'un grand courage et prévenu mon cousin d'une union des plus malheureuses. Je lui sais gré de la reconnaissance qu'il a su vous témoigner. 

Emily en revanche mérite tous les reproches possibles. Après que son ignoble comportement eût été rendu public, toute autre jeune fille se serait retirée de la société pour dissimuler sa honte. Mais venir jusque chez vous, vous faire des reproche et ensuite se venger ! C'est avoir là bien peu d'honneur. Et la manière dont elle a agi à votre encontre est des plus méprisables ! Oser tenter d'attenter à votre honneur, à votre réputation ! Quelle bassesse ! Quand à cet homme si indigne, comment a-t-il osé vous traiter ainsi ? Bien que je ne sois guère supportrice de démonstrations de violence, je salue vos frères, qui ont su donner une bonne correction à ce malotru et laver votre honneur. En ce qui concerne cet inconnu qui a su voler à votre secours, j'espère qu'il vous sera donner de le revoir et d'apprendre qui il est. Je vous avoue que ce mystérieux gentleman excite ma curiosité, car pour venir ainsi en aide à une demoiselle, il ne peut s'agir que d'un gentleman. Peut-être vous sera-t-il possible à vous, ainsi qu'à vos frères, d'enquêter sur la question. 

J'aimerais vous rassurer au sujet de votre réputation actuelle. Comme vous le dites si bien, il est préférable que l'on vous croit intouchable plutôt que perdue. Je ne connais que bien peu la vie de Londres, mais il me semble que de nombreux potins y circulent chaque jour. Ainsi, n'est-il pas probable que cette malheureuse affaire soit rapidement oubliée en société puisqu'il n'y a pas eu faute de votre part ? Comme j'aimerais être à vos côtés pour mieux vous réconforter !

De mon côté, les perspectives ne sont guère meilleures. J'ai cependant eu le plaisir de remporter une petite victoire sur cet épouvantable Mr Temple. Je savais d'ores et déjà que je serais amenée à le rencontrer dans un cadre plus officiel. En effet, le retour de Père a été le prétexte d'une invitation de la part de Lady Sheldon et de son fils à une petite réception. Toute notre famille y a été conviée, à l'exception de Nora, encore bien trop jeune pour assister à ce type de réunion. Cela était l'occasion pour ma soeur et son mari de profiter de la société du Devonshire une dernière fois avant de repartir – Par ailleurs, il me faut vous préciser que Mr Robertson est apparu étonnamment changé et agréable depuis le retour de Père – Vous devez vous douter que la simple idée de cette soirée me rebutait. Par souci de ne pas troubler la paix du voisinage, je n'avais parlé de ma mésaventure à personne d'autre qu'à vous, ma chère cousine.

Lorsque nous sommes arrivés sur les lieux, il y avait heureusement suffisamment de nos connaissances pour que je puisse éviter Mr Temple. En revanche, je ne pus éviter les remarques qui étaient faites à son sujet, toutes très élogieuses. Il semblait être aux yeux de tous amusant, plein d'esprit et d'une extrême amabilité. On regrettait sincèrement qu'il n'ait pas davantage de fortune, sans quoi il aurait été un parti très souhaitable. Tous nos voisins auraient-ils donc perdus la raison ? Voilà la question que je me posais. J'en étais là de mes réflexions lorsque Lord Henry me salua et insista pour me présenter son cousin. Je fus certes contrainte de lui répondre par obligation, mais je montrai avec soin par ma froideur et mon détachement que je n'en prenais nul plaisir. Ce détestable personnage le remarqua puisqu'aussitôt, son sourire radieux s'évanouit. Je fus bien aise de voir qu'il comprenait que je n'étais pas dupe de ses belles manières.

Je m'éloignai rapidement sous un quelconque prétexte, imaginant en avoir fini pour la soirée avec cet homme odieux. Malheureusement, je n'étais pas au bout de mes surprises. Une fois que l'heure fut avancée, certaines personnes dans l'assistance exprimèrent le désir de danser, suggestion qui fut unanimement approuvée, y compris par moi – vous savez à quel point j'affectionne la danse – Miss Bloom, une jeune demoiselle que je me plais à fréquenter et qui possède un grand talent pour la musique, s'installa au pianoforte et entama une mélodie au rythme enlevé. Lord Henry, malgré sa préférence pour les jeux de cartes, m'invita à danser. Il n'était certes pas le partenaire dont je rêvais, mais le refuser pour danser avec un autre eut été bien trop grossier. Je découvris d'ailleurs en lui un partenaire tout-à-fait acceptable. Mais lors de la danse suivante, à ma grande surprise, je reçus une invitation de Mr Temple. Voyez-vous, chère Constance, j'ai longuement détaillé ses traits. Il a une physionomie très agréable, des manières simples et franche, ainsi qu'une amusante manière de parler. Si je n'avais pas malencontreusement entendu sa conversation auparavant, je m'y serais également laissée prendre. Il m'avait tant offensé que je n'eus aucun scrupule à le refuser. Je lui répondis très exactement ces mots : « Pour votre bien, Monsieur, il me faut décliner cette proposition. Car, ne pensez-vous pas qu'il y aurait quelque imprudence à danser avec la créature la plus maladroite d'Angleterre ? ». Je produisis par ces paroles un certain effet, puisque je le vis sous mes yeux pâlir et perdre toute contenance. Sans lui laisser le temps de se justifier, je tournai les talons. Oh, à ce moment là, je sentis mes joues s'empourprer, et pourtant, quel excitation ! Après cela, je peux être certaine que jamais plus je n'aurai le malheur d'avoir affaire à lui !

Au moment où je vous écris, ma soeur aînée et son époux sont déjà repartis. Je dois avouer que cette chère Margaret me manque, malgré l'adoration qu'elle voue à un si triste personnage.

J'ose espérer que tout s'est arrangé pour vous. Répondez-moi vite afin de me rassurer, ou du moins, de me donner de vos nouvelles.

Avec toute mon affection,

Fanny.

6 juin 2011

Troisième lettre de Constance Montgomery à Frances Sainsburry

Ma très chère cousine,

Votre lettre a été un rayon de soleil dans une journée bien morose.
Je suis tout de même assez triste que les retrouvailles avec votre sœur n’aient pas été plus heureuses. Son mari m’a l’air d’être fort ennuyeux, et il est le type même de l’homme que je ne désire pas épouser. La suffisance est pour moi pire que la bêtise, bien que ce soit des défauts qui vont souvent de paire. J’espère pour votre sœur qu’elle restera à jamais bercée d’illusions, et qu’elle vivra longtemps dans ce doux déni. Malheureusement, la vie ne peut lui offrir d’autres alternatives, aussi espérons qu’elle reste ainsi qu’elle est maintenant. Nous ne pouvons pas lui souhaiter autre chose.
Je vais maintenant aborder le point de votre lettre qui m’a le plus révoltée. Ce monsieur Temple ! Mais quel homme est-ce que cela ? Vous juger sans vous connaître ? Et ce Lord Henry qui ne vous a défendu que mollement ? Un homme, un vrai, aurait joué les chevaliers ! Il aurait combattu, même verbalement, pour vous. Me voila de plus en convaincue. Vous ne devez pas épouser ce triste sire. Si tous ces amis sont à la mesure de ce goujat qui a dressé de vous un portrait si injuste, il m’est avis que vous serez malheureuse. Même si je dois pour cela me rendre auprès de vous, et convaincre mon oncle, j’empêcherais ce mariage ! Je n’en serais pas à ma première incartade.
Voyez vous, très chère Fanny, j’ai quelque peu fait parler de moi ces derniers temps que ce soit dans l’intimité familiale que dans le tout Londres, et je crains que maintenant je n’ai plus le loisir de rejeter un prétendant. Je n’en aurais pas. Je sais que cela devrait me réjouir, mais père semble très affecté par mes bêtises.
Laissez moi tout vous raconter.
Vous savez que j’avais décidé que James ne pouvait, et ne devait pas épouser sa chère Emily. Je me suis donc lancée dans une croisade veillant à la mettre hors jeu. Mes deux autres frères m’ont épaulée, et j’ai vite découvert que la belle avait plusieurs prétendants, et qu’elle était à la chasse du mari le plus riche possible. J’ai réussi à convaincre sa sœur de me remettre la correspondance privée de l’angélique créature, et après avoir découvert qu’Emily échangeait des courriers enflammés avec un jeune Lord, j’ai décidé de montrer les lettres à mon frère.
Voilà la première bêtise. Certes, James, même s’il a eut le cœur brisé, m’a été reconnaissant de lui avoir empêché une bévue. Oui mais voilà, Emily, elle, a été plutôt fâchée de l’affaire. Surtout quand James a contacté un par un ses autres soupirants, et qu’elle s’est bientôt retrouvée dépourvue de possibles maris. Si vous l’aviez vue, quand elle m’a rendu une dernière visite après cette fâcheuse histoire… La fureur incarnée. Adieu jolis minois et mines étudiées, elle n’était plus que venin et fiel.
J’aurais du me tenir sur mes gardes après cela. Imaginer qu’elle pouvait avoir envie de se venger, de moi, ou de James, et essayer de ne pas tomber dans un de ses futurs pièges. Oui mais voilà, parfois, je ne suis pas quelqu’un de très réaliste.
Au dernier bal auquel j’assistais, alors que je prenais l’air dans le jardin de mes hôtes, n’en pouvant plus de tant de chaleur et de monde, je fus rejointe par un inconnu. Je ne mis pas longtemps à comprendre qu’on essayait d’attenter à mon honneur. Je ne vous dirais pas ce que ce malotru m’a susurré mais je puis vous assurer que ce n’était pas des versets de la bible. Je le giflais et m’apprêtais à regagner discrètement la salle de bal, en essayant de remettre un peu d’ordre à ma toilette, qui avait été dérangée par un geste honteux de cet impudent personnage et surtout de me calmer, quand je vis des silhouettes s’approcher du jardin. Je reconnus le rire flûté d’Emily. Ainsi donc, cette odieuse créature voulait me perdre ? Je crois que je me serais évanouie si on ne m’avait pas attirée vers l’arrière d’un buisson. (Vous allez vous dire que ma lettre tourne au vaudeville, mais tout est vrai !)
« Suivez-moi. » Dit une voix que je ne parvins pas à reconnaître.» Dans l’obscurité, je ne parvins pas vraiment à distinguer les traits de mon sauveur, mais il devait parfaitement connaître les lieux, et après quelques instants de marche à travers fourrés et petites allées, nous regagnâmes, par une autre porte, la maison.
A peine voulus-je le remercier que le mystérieux inconnu me planta là, sans mot dire. Je remis rapidement de l’ordre dans ma tenue, et entrais dans la salle de bal avec toute la discrétion possible. Je me jetais vers le buffet, et me fit servir un verre de punch pour me donner une contenance. Une danse se finissait. J’aperçus enfin Nathaniel dans la salle et me précipitais vers lui pour lui conter mon aventure. J’aurais sans doute du me tourner vers le plus sage de mes frères, James, mais dans l’affolement, je n’ai pas réfléchi. Je lui ai désigné discrètement mon assaillant. Nathaniel a rougi furieusement, s’est dirigé vers lui, et l’a frappé d’un coup de poing.
Rien que d’y repenser, je me sens coupable. S’en est suivi une bagarre, remportée certes par mon frère, et mon honneur est plus ou moins lavé. Oui, mais maintenant, on m’appelle l’intouchable, et on murmure que quiconque voudrait se marier avec moi risquerait de se voir battre par mes frères.
Père a exigé de savoir l’intégralité de l’histoire, et j’ai du lui raconter pourquoi Emily m’en voulait à ce point. Je ne l’ai jamais vu plus fâché. Une lady ne se mêle pas des affaires des autres ! A-t-il hurlé.
Cela fait quelques jours que tout cela s’est passé, et j’ai depuis beaucoup repensé à ce mystérieux inconnu. Qui pouvait-il bien être ? J’aimerais pouvoir le remercier, je ne sais jusqu’où aurait été l’envoyé d’Emily sans cela. Aurais-je été totalement déshonorée ? Je préfère avoir la réputation d’une intouchable plutôt que celle d’une femme souillée.
Ô chère cousine, qu’allons nous devenir ? Entre votre prétendant détestable et ses drôles de fréquentations et mon nouveau surnom, je crois que toutes les deux nous sommes dans de beaux draps !
Vous souvenez vous quand enfant nous rêvions du prince charmant ? C’était il me semble il y a des siècles ! Que nous étions naïves…

Je vous embrasse, ainsi que toute votre famille et particulièrement votre petite sœur.
Ne tardez pas à m’écrire, je me languis déjà de savoir si les choses s’arrangent pour vous.

Votre cousine dévouée, Constance.

Réponse de Fiona Finnegan à Amelia Wilson

Fiona Finnegan
New York


New York, le 25 mai

Chère Amelia,
Quel bonheur de recevoir de vos nouvelles après notre rencontre au Savoy. Je vous prie d'accepter mes excuses pour mon long silence, mes affaires new-yorkaises m'accaparant totalement.

Je suis très attristée d'apprendre le décès de ce cher enfant, vous me sembliez y être si attachée. La vie est parfois bien cruelle. Notre vie outre-atlantique est une vraie chance. Nick, mon précieux ami, me soutient. Sans lui, je n'aurais pas eu la force d'accomplir toutes ces tâches.
Maddy et Naté m'ont initiée à la réclame, quelle révolution. Nous avons ensemble créé le sachet de ma marque de thé, Kalithé, et les ventes se développent rapidement. J'ai eu la sensation d'avoir trouvé ici la famille que j'ai perdue en Angeleterre, cette famille qui m'a insufflé la force d'avancer. Seamie s'habitue bien à sa nouvelle vie. Il adore sa cousine, et ses escapades dans les rues de New York pour les livraisons le ravissent.
Mais je parle, je m'emballe et je me rends compte que, bien que votre nouvelle place vous plaise, elle vous paraît toutefois peu satisfaisante.
J'espère que ce courrier vous parviendra avant votre départ pour la Provence. Je vous envie de pouvoir découvrir ces magnifiques paysages.
Dans l'attente de vous lire,

Votre amie,Fiona

2 juin 2011

Réponse de Matt à Franck Dillon

Mon cher Franck,

Je suis heureux de recevoir si vite de tes nouvelles, depuis mon retour à Paris, je n’ai fait qu’attendre une lettre m’assurant que le voyage s’était bien déroulé. Depuis ton départ, la vie est un peu plus délicate, je me sens perdu, je ne sais plus trop vers qui me tourner lorsque mon esprit s’égare et se noircit.
Lire le récit de tes découvertes compte beaucoup pour moi, j’ai le sentiment de voyager ailleurs et de t’accompagner un peu, quittant l’espace de quelques minutes ma vie pour en découvrir une autre, peut-être meilleure. Parfois, je repense au jour de ton départ, et je me dis que j’aurais dû emporter un sac avec moi et partir à mon tour à l’aventure. Mais je n’aurais été qu’un poids, je ne peux pas me permettre de voyager trop longuement et puis, je n’aurais pas été d’une grande aide dans tes recherches. De plus, comment pourrais-je quitter la Sorbonne qui m’est si chère et mes études, ainsi que tous ces romans que je n’ai pas encore lu ? Je ne pourrais pas survivre sans aller au théâtre, ou m’assurer que la beauté de Paris ne s’écroule pas. Sans compter ma famille, mon père aurait été trop inquiet de me voir quitter notre pays, et mon frère aurait été déçu que je sois absent le jour de son mariage.
Malgré tout, mon humeur est sombre depuis ton embarcation. Je suis resté longtemps assis sur le quai ce jour-là, à remuer mes pensées et chercher une solution à tout ce qui peut peser sur mon cœur. Et j’en suis venu à ressasser toujours les mêmes ennuis. Je me suis surtout posé des questions sur mes rêves, mes motivations et mon écriture, toutes ces choses qui me rongent depuis plusieurs mois déjà… Je ne cesse de me répéter les mêmes délires, toutes ces pensées qui me détruisent au jour le jour et font de moi quelqu’un de si peu efficace et de faible.
Parce que, vois-tu…
Les mots insufflent le goût de la sensibilité, des mondes que l’on aimerait parcourir sans espérer pouvoir un jour le faire en vrai. En ce moment, cela me manque… J’ai l’étrange impression qu’en ayant grandi trop vite, j’ai aussi perdu le fragile équilibre qui s’était instauré entre l’écriture et moi.
Je ne sais que faire, que dire. Les lectures se multiplient dans ma chambre et dans le salon, mais j’ai l’impression d’avoir abusé des mots avec trop de rapidité. Aujourd’hui, rien n’accepte de se construire dans une phrase, ni même dans ma pensée.
J’ai voué un culte trop impitoyable au chaos, et celui-ci s’est installé dans mon esprit, il renonce à la paix et à ma raison. Les termes les plus simples que je puisse employer semblent estropiés, un peu comme mes vers, qui ne portent ni sens, ni rythme, ni rien. Juste le néant.
J’ai longtemps cru que l’écriture serait ma passion, mon unique talent, mais aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir à nouveau échoué. Je ne sais même pas pourquoi est-ce que je te raconte cela, sans doute que cette perte a de l’importance et que je la vis comme je vivrais un deuil. Pour tout dire, elle y ressemble de plus en plus. Et je me sens jaloux, jaloux de voir tant d’autres expirer de la poésie comme il respire la vie. Mais en même temps, je les respecte pour leur don naturel, parce qu‘il me rend fou. Ce même don que j’avais cru posséder, avant.
Parfois, je me surprends même à prier Dieu pour qu’il me rende mes mots, qu’il me laisse partir à nouveau dans une évasion strictement personnelle, et je lui dis, haut et fort : « si tu ne me permets plus d’écrire, alors, je ne pourrais guère continuer à croire en toi, parce que sinon, cela signifierait que tu es cruel, violent avec tes enfants, et donc, qu’il n’y a pas de place pour toi dans mon cœur ». Et les jours se succèdent, je me mets devant une feuille, assis dehors près d’un arbre ou dans un coin de Paris, et j’essaie de retrouver ce qui me faisait aimer la vie, mais rien ne se passe. Les ratures se succèdent, laissant finalement place à des brouillons arrachés, et je maudis Dieu.
Je sais, c’est dangereux de penser ainsi, d’aller contre Lui, mais je ne comprends pas pourquoi, s’il existe quelque part au Ciel, il ne m’entend pas et ne me laisse pas retrouver cette passion ? Il m’a déjà volé ma mère, maintenant, c’est à mes mots qu’il s’en prend. J’aurais préféré que ce soit ma vie qu’il m’enlève, ainsi, je n’aurais pas eu le sentiment d’avoir le cœur déchiqueter et mis en pâture à quelques bêtes sauvages : celles que l’on retrouve dans la société, les hommes et les femmes.
Je ne sais que faire de ma vie, ni quel chemin m’attend. J’ai le sentiment de ne pas être né au bon moment, trop tard pour avoir un rôle dans le monde, trop tôt pour être sûr que l’espoir existe.

Il vaudrait mieux que j’oublie tout cela, j’ai déjà bien assez de tourments pour être inquiet de cet échec. Je ne sais plus écrire, et alors ? Que puis-je y faire ? Rien. Alors autant abandonner mes rêves. D’autres sont encore bons à exploiter. Il faut que je sorte plus, que je rencontre du beau monde et que j’apprenne à me fondre dans la masse, ainsi, peut-être un jour pourrais-je oublier l’affront qu’Il me fait en ce moment même ? Oui, je devrais cesser d’être si égoïste, et prier plutôt pour ma famille, pour qu’elle se porte bien. Je devrais prier pour mon frère Mickaël, qui épousera bientôt une française avec qui il aura de magnifiques enfants, je devrais aussi prier pour ma sœur, pour qu’elle soit en bonne santé et grandisse dans le calme et l’insouciance. Et je devrais prier pour mon père, pour qu’il ne soit jamais déçu d’avoir eu un fils tel que moi, pas assez fort pour le travail, trop peu enthousiaste pour les choses du monde, et bien trop sensible pour être vu comme un homme… Peut-être devrais-je aussi prier pour toi, pour que ton voyage se passe bien, que rien ne t’échappe et que tu ne sois jamais privé de ta passion la plus chère.


J’attends de tes nouvelles avec impatience, j’espère que tu ne me jugeras pas trop en mal et que tu comprendras ce qui m’arrive. J’espère être moins sombre lorsque ta prochaine lettre arrivera, que mon esprit ne s’égare pas une nouvelle fois.

Je dois retrouver mon ami Frédéric dans la journée, ce jeune homme particulier que tu as eu l’occasion d’apercevoir quelques jours avant ton départ. Il me demandait de tes nouvelles, aujourd’hui, je saurai quoi lui répondre. Il est le seul vers qui je ne crains pas de me tourner depuis ton départ, même si je suis intrigué et gêné à chaque fois que nous discutons, lui et moi.

A bientôt mon cher ami, n’hésite pas à me dire comment tes recherches se passent, elles me passionnent, même si je crains de ne pas en avoir assez parlé dans ma lettre.


Matthew