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Bonjour et Bienvenue à toutes et à tous sur le blog du projet "Correspondance d'Autrefois". L'aventure commence avec 23 participantes, un magnifique panel de 27 personnages et 15 passionnantes correspondances à suivre...


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2 juin 2011

Réponse de Matt à Franck Dillon

Mon cher Franck,

Je suis heureux de recevoir si vite de tes nouvelles, depuis mon retour à Paris, je n’ai fait qu’attendre une lettre m’assurant que le voyage s’était bien déroulé. Depuis ton départ, la vie est un peu plus délicate, je me sens perdu, je ne sais plus trop vers qui me tourner lorsque mon esprit s’égare et se noircit.
Lire le récit de tes découvertes compte beaucoup pour moi, j’ai le sentiment de voyager ailleurs et de t’accompagner un peu, quittant l’espace de quelques minutes ma vie pour en découvrir une autre, peut-être meilleure. Parfois, je repense au jour de ton départ, et je me dis que j’aurais dû emporter un sac avec moi et partir à mon tour à l’aventure. Mais je n’aurais été qu’un poids, je ne peux pas me permettre de voyager trop longuement et puis, je n’aurais pas été d’une grande aide dans tes recherches. De plus, comment pourrais-je quitter la Sorbonne qui m’est si chère et mes études, ainsi que tous ces romans que je n’ai pas encore lu ? Je ne pourrais pas survivre sans aller au théâtre, ou m’assurer que la beauté de Paris ne s’écroule pas. Sans compter ma famille, mon père aurait été trop inquiet de me voir quitter notre pays, et mon frère aurait été déçu que je sois absent le jour de son mariage.
Malgré tout, mon humeur est sombre depuis ton embarcation. Je suis resté longtemps assis sur le quai ce jour-là, à remuer mes pensées et chercher une solution à tout ce qui peut peser sur mon cœur. Et j’en suis venu à ressasser toujours les mêmes ennuis. Je me suis surtout posé des questions sur mes rêves, mes motivations et mon écriture, toutes ces choses qui me rongent depuis plusieurs mois déjà… Je ne cesse de me répéter les mêmes délires, toutes ces pensées qui me détruisent au jour le jour et font de moi quelqu’un de si peu efficace et de faible.
Parce que, vois-tu…
Les mots insufflent le goût de la sensibilité, des mondes que l’on aimerait parcourir sans espérer pouvoir un jour le faire en vrai. En ce moment, cela me manque… J’ai l’étrange impression qu’en ayant grandi trop vite, j’ai aussi perdu le fragile équilibre qui s’était instauré entre l’écriture et moi.
Je ne sais que faire, que dire. Les lectures se multiplient dans ma chambre et dans le salon, mais j’ai l’impression d’avoir abusé des mots avec trop de rapidité. Aujourd’hui, rien n’accepte de se construire dans une phrase, ni même dans ma pensée.
J’ai voué un culte trop impitoyable au chaos, et celui-ci s’est installé dans mon esprit, il renonce à la paix et à ma raison. Les termes les plus simples que je puisse employer semblent estropiés, un peu comme mes vers, qui ne portent ni sens, ni rythme, ni rien. Juste le néant.
J’ai longtemps cru que l’écriture serait ma passion, mon unique talent, mais aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir à nouveau échoué. Je ne sais même pas pourquoi est-ce que je te raconte cela, sans doute que cette perte a de l’importance et que je la vis comme je vivrais un deuil. Pour tout dire, elle y ressemble de plus en plus. Et je me sens jaloux, jaloux de voir tant d’autres expirer de la poésie comme il respire la vie. Mais en même temps, je les respecte pour leur don naturel, parce qu‘il me rend fou. Ce même don que j’avais cru posséder, avant.
Parfois, je me surprends même à prier Dieu pour qu’il me rende mes mots, qu’il me laisse partir à nouveau dans une évasion strictement personnelle, et je lui dis, haut et fort : « si tu ne me permets plus d’écrire, alors, je ne pourrais guère continuer à croire en toi, parce que sinon, cela signifierait que tu es cruel, violent avec tes enfants, et donc, qu’il n’y a pas de place pour toi dans mon cœur ». Et les jours se succèdent, je me mets devant une feuille, assis dehors près d’un arbre ou dans un coin de Paris, et j’essaie de retrouver ce qui me faisait aimer la vie, mais rien ne se passe. Les ratures se succèdent, laissant finalement place à des brouillons arrachés, et je maudis Dieu.
Je sais, c’est dangereux de penser ainsi, d’aller contre Lui, mais je ne comprends pas pourquoi, s’il existe quelque part au Ciel, il ne m’entend pas et ne me laisse pas retrouver cette passion ? Il m’a déjà volé ma mère, maintenant, c’est à mes mots qu’il s’en prend. J’aurais préféré que ce soit ma vie qu’il m’enlève, ainsi, je n’aurais pas eu le sentiment d’avoir le cœur déchiqueter et mis en pâture à quelques bêtes sauvages : celles que l’on retrouve dans la société, les hommes et les femmes.
Je ne sais que faire de ma vie, ni quel chemin m’attend. J’ai le sentiment de ne pas être né au bon moment, trop tard pour avoir un rôle dans le monde, trop tôt pour être sûr que l’espoir existe.

Il vaudrait mieux que j’oublie tout cela, j’ai déjà bien assez de tourments pour être inquiet de cet échec. Je ne sais plus écrire, et alors ? Que puis-je y faire ? Rien. Alors autant abandonner mes rêves. D’autres sont encore bons à exploiter. Il faut que je sorte plus, que je rencontre du beau monde et que j’apprenne à me fondre dans la masse, ainsi, peut-être un jour pourrais-je oublier l’affront qu’Il me fait en ce moment même ? Oui, je devrais cesser d’être si égoïste, et prier plutôt pour ma famille, pour qu’elle se porte bien. Je devrais prier pour mon frère Mickaël, qui épousera bientôt une française avec qui il aura de magnifiques enfants, je devrais aussi prier pour ma sœur, pour qu’elle soit en bonne santé et grandisse dans le calme et l’insouciance. Et je devrais prier pour mon père, pour qu’il ne soit jamais déçu d’avoir eu un fils tel que moi, pas assez fort pour le travail, trop peu enthousiaste pour les choses du monde, et bien trop sensible pour être vu comme un homme… Peut-être devrais-je aussi prier pour toi, pour que ton voyage se passe bien, que rien ne t’échappe et que tu ne sois jamais privé de ta passion la plus chère.


J’attends de tes nouvelles avec impatience, j’espère que tu ne me jugeras pas trop en mal et que tu comprendras ce qui m’arrive. J’espère être moins sombre lorsque ta prochaine lettre arrivera, que mon esprit ne s’égare pas une nouvelle fois.

Je dois retrouver mon ami Frédéric dans la journée, ce jeune homme particulier que tu as eu l’occasion d’apercevoir quelques jours avant ton départ. Il me demandait de tes nouvelles, aujourd’hui, je saurai quoi lui répondre. Il est le seul vers qui je ne crains pas de me tourner depuis ton départ, même si je suis intrigué et gêné à chaque fois que nous discutons, lui et moi.

A bientôt mon cher ami, n’hésite pas à me dire comment tes recherches se passent, elles me passionnent, même si je crains de ne pas en avoir assez parlé dans ma lettre.


Matthew

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