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Bonjour et Bienvenue à toutes et à tous sur le blog du projet "Correspondance d'Autrefois". L'aventure commence avec 23 participantes, un magnifique panel de 27 personnages et 15 passionnantes correspondances à suivre...


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A très bientôt pour suivre toutes ces belles lettres...

25 sept. 2011

Dernière lettre d'Amelia Wilson à Fiona Finnegan

Amelia Wilson

5 Bedford Square

Londres

Londres, le 21septembre 1899

Fiona,

Cette lettre sera très certainement la dernière que vous recevrez de ma part, mais je tenais à vous souhaiter un très heureux anniversaire. J'espère que le petit présent qui accompagne cette missive vous fera plaisir. Je ne pense cependant pas poursuivre cette correspondance, qui n'en a que le nom puisque je suis la seule à écrire. Je m'étais illusionnée en pensant que vous aimeriez échanger, comme vous l'aviez demandé, des lettres à intervalles réguliers. Vous êtes certainement trop prise par vos responsabilités et votre vie new-yorkaise pour trouver le temps d'écrire à une simple demoiselle de compagnie. Je préfère donc briser là ce qui ne fut guère qu'un jeu à sens unique, et vous rendre ainsi votre liberté.

Prenez soin de vous. Tous mes vœux de bonheur et de réussite vous accompagnent.

Amelia

13 sept. 2011

Quatrième lettre de Constance à Frances





                                      Ma très chère Fanny,

L’été est bien installé, et je vous écris en tentant de profiter un peu de l’air du matin, avant que la chaleur Londonienne me rende exsangue. Votre lettre m’a encore plus charmée que d’habitude, et le fait de savoir que vous avez mouché cet odieux Mr Temple m’a comblée de joie. Comme j’aurais aimé être avec vous pour contempler son air surpris ! J’en ris encore en y pensant, et vous félicite de l’avoir si bien remis à sa place. Il n’est pas dit qu’une femme de notre famille se laissera marcher sur les pieds !
Continuez à résister, et n’hésitez pas à lui afficher le plus profond des dédains, il le mérite.
J’ai bien tardé à vous écrire, mais pour ma défense, j’étais consignée et privée de toute mondanité par père. Si ne pas sortir n’a pas été une bien grande perte pour moi, ne pas pouvoir vous répondre m’a vraiment contrariée. Sans votre soutien ma vie me paraissait bien morne ! Pourquoi une telle punition me direz-vous ?
Si la plupart des Londoniens sont partis en villégiature, ma nouvelle ennemie n’a pas fait de même tout de suite et a réussi à me jeter dans une bien vilaine posture.
Tout s’est passé lors d’une soirée assez intime, au vu du peu de courageux encore présents dans la sphère Londonienne que nous fréquentons.  Je faisais plus ou moins tapisserie, je dois l’avouer, et je n’en étais pas mécontente. Je n’aime pas danser avec n’importe qui, et encore moins avec des inconnus. Mes frères étaient absents, et je me demandais bien ce que je faisais là. Mais avec la présence de mon nouveau chaperon en la personne d’une cousine de père, une femme qui tient absolument à ce que je fasse un beau mariage, je ne pouvais pas m’éclipser. Je marchais donc nerveusement dans la salle, en essayant de paraître à mon aise. Jusqu’à ce que cette vipère, pardonnez-moi l’expression, Emily, vous l’aurez deviné, se débrouille pour me faire trébucher, et que je tombe dans les bras d’un inconnu. Enfin, quand je dis les bras… Nos bouches se sont heurtées, et le scandale était fait. Vous me direz que je n’ai pas fait exprès et qu’à la réputation d’être intouchable ne va que s’ajouter de la maladresse… Si j’avais embrassé un quelconque parti, sans doute. Oui mais voilà… Je suis tombée sur le plus beau parti du moment. Celui qui allie un titre à une fortune personnelle colossale, et que le monde s’arrache.  Voilà qui déjà convaincrait n’importe quelle mère de lui jeter sa fille à la tête. Mais, ce qui marche auprès des jeunes filles, ce n’est pas tout ça, mais le fait qu’il soit beau. Parce qu’il l’est, croyez moi. Il n’a rien à envier à une statue de Michel ange, des boucles parfaites au profil parfaitement dessiné. Et ses yeux… Alors vous vous direz que ce n’était pas si grave, et que finalement il faut mieux que je sois tombée sur lui plutôt que sur un vieux barbon. Certes. Mais néanmoins, il semble que certaines personnes croient que cela a été fait intentionnellement et que je suis une intrigante qui tente de se faire remarquer à tout prix pour pouvoir se marier rapidement. Les rumeurs courent vite à Londres.
Père a été particulièrement atteint par cette histoire. Il semble que je ne lui offre que des déconvenues, et que je ne suis pas la fille qu’il aurait aimé avoir. Il eût fallu que je sois posée, réfléchie, accomplie, discrète,  moins sérieuse… Je me sens coupable ces derniers temps.
Néanmoins, je me change les idées en partant à la chasse de mon sauveur. Avec Nathaniel, nous avons dans l’idée de trouver qui il est. Le travail d’enquête n’est pas chose aisée, je vous prie de me croire, mais nous commençons à réduire le champ des possibilités. Pour cela, nous procédons avant tout par élimination. Je n’ai certes pas vu le visage de l’homme qui m’a tirée d’un premier faux pas, ô combien j’eusse aimé qu’il soit là pour m’empêcher le second, mais je sais tout de même à quoi ressemble sa silhouette. Il était grand et athlétique. Nous avons donc éliminé les trop minces, petits, enveloppés. Les chauves également. Il m’a semblé jeune, par sa voix, et sa vivacité aussi avons-nous pensé qu’il avait entre dix-huit ans et trente-cinq ans. Il fallait également qu’il connaisse bien les lieux où nous étions, que ce soit par lien familial ou amical. Nous avons donc une liste d’une dizaine de candidats potentiels.
Devinerez-vous qui figure dans cette liste ? William Sackville, duc de Dorset.  Cela ne vous dit rien, mais si j’ajoute qu’il est la malheureuse victime de ma chute, vous comprendrez mieux.
Le destin me jouerait un tour bien étrange s’il s’avérait que c’était lui. Et comment pourrait-il être remercié assez discrètement ? Mais je me dois de ne pas être trop hâtive, bien sûr.
J’aimerais tant que vous soyez avec moi en ces temps difficiles, et plus que jamais je ressens l’absence cruelle de ma mère. Si Nathaniel n’était pas là, je crois que je serais définitivement en train de sombrer, mais dieu merci, il est d’un soutien indéfectible.
Une autre chose vient éclairer mon quotidien. Le rapprochement entre James et Iris, qui permet à mon frère aîné de se guérir doucement de sa douloureuse aventure amoureuse. Elle est toute en discrétion et finesse, et je pense que nous aurons, d’ici quelques mois, un mariage à préparer. Ce sera pour vous l’occasion d’arracher à votre père la permission de venir à Londres, car vous ne pouvez décemment par laisser votre cousin se marier sans y assister !

Je termine sur cette note pleine d’espoir ma lettre car les préparatifs de notre départ pour la campagne m’attendent. Nous allons séjourner chez ma tante pour échapper un peu à Londres. Le temps de me faire oublier j’espère !

Sincèrement vôtre, et en espérant avoir de vos nouvelles plus rapidement que j’en ai donné des miennes.


Constance.

10 sept. 2011

Deuxième lettre d'Eugénie à Aliénor


Bois-Doré, le 9 septembre 1835


Chère Mademoiselle Beaulieu,

C’est avec beaucoup de retard que je réponds à votre lettre. Je ne suis arrivée dans le Berry que depuis deux jours et notre gouvernante, Bonne Germaine, ne m'a remis vos courriers que ce matin. Il faut préciser pour sa défense, que j'ai sommeillé pratiquement vingt-quatre heures d'affilées, ne me réveillant que pour me sustenter.

Durant le mois de mai, nous étions partis à Marseille réceptionner des plantes d’une extrême rareté, en provenance d’Asie.
Madame la comtesse de Mervent, comme je vous l’indiquais dans ma première missive d'une façon assez sommaire, est passionnée par les fleurs, les plantes en tout genre, voire même du simple lichen. L’année dernière, son neveu, le marquis de Blaze est parti pour un périple culturel et philanthropique, jusqu’en Chine, en empruntant la route de la soie. Tante et neveu sont des collectionneurs. L’une recherche les végétaux de toutes contrées, de l'archaplastida aux chlorophytes
, l’autre est passionné par la civilisation chinoise et a ramené des curiosités de toutes beautés.

Après avoir préparé avec méticulosité l’acheminement, nous avons confié les « bébés » de Madame à une équipe de cinq convoyeurs, chapeautée par notre chef jardinier. La chose ne fut pas aisée, mais nous avons eu le secours des autorités portuaires pour les opérations de douane et l'aide précieuse de Monsieur le Préfet pour nous soulager de toutes les formalités administratives. Savez-vous que certaines plantes sont enveloppées dans du papier de soie, de la mousseline la plus légère, à la ouate la plus naturelle qu'il y ait sur le marché ? Je me plais à souhaiter parfois, par pure mesquinerie, que cette folie fasse fondre l'héritage des Mervent. Ah ! Ce cher marquis de Blaze serait un peu moins hautain ! Il peut être parfois d'une condescendance qui m'outrage, et son mépris s'arme d'aiguillons ironiques qui blessent ma fierté. Enfin, il est heureux que nous nous côtoyâmes que quelques semaines dans l'année. Plus, serait une gageure surhumaine.

Je vous disais donc que le joli mois de mai fut provençal. Nous avons profité de ce voyage pour pénétrer dans les terres des Alpes de Haute-Provence. Nous avions eu écho à Aix-en-Provence, qu'un parfumeur de Grasse allait chercher son essence de lavande, chez un particulier du plateau de Valensole. Aussitôt, connaissant les vertus de cette lamiacée, Madame la comtesse voulut s'y rendre en personne. Quelques pieds de cette plante faisaient défaut à son catalogue, et il les lui fallait ! Sur les routes pierreuses et accidentées du Luberon, la voiture ne pouvant circuler, il a fallu que nous montions sur des mules. Nous avons eu l'honneur d'être escortés jusqu'à Manosque par Monsieur Delacroix que nous avions croisé sur le port de Marseille, à son retour de Tanger. Nous avons eu beaucoup de plaisir à le rencontrer. Très admiratif de notre voisine la baronne Dudevant, il a voulu que nous lui racontions ses dernières frasques. Avez-vous eu l'opportunité de lui être présentée ? Je sais qu'elle défraie la vie parisienne et depuis qu'elle a pris le pseudonyme de George Sand, ose porter des pantalons et peut-être fumer le cigare... Oui, chère Mademoiselle ! Elle se permet des plaisirs masculins !... La dame de Nohant est follement divertissante. Vous choquerais-je ? Je ne le pense point ! J'ai lu entre vos lignes une âme sœur et une rebelle à notre condition.

Alors, nous avons cheminé, bringuebalant aux pas cadencés de nos montures, sur les sentiers aux senteurs de maquis, en bordures des gorges du Verdon, jusqu'à un magnifique petit village, Mostiers Santa Maria. C'est une crèche. Un adorable berceau entre deux montagnes. Là, Monsieur le marquis a eu une illumination ! Sincèrement ! Il a été subjugué par les faïences et la pure blancheur de celles-ci. A croire qu'il voulait se reconvertir dans la poterie !

Vous devez vous demander si Madame la comtesse a effectuer cette expédition dans de bonnes conditions ? Notre guide lui avait confectionné une scelle bien rembourrée et nous a aménagés des temps de délassement à chaque source naturelle. L'eau était cristalline et certainement magique car ma vieille amie ne paraissait plus ses cinquante années. Je suivais lamentablement une jouvencelle ardente. Je vous avoue qu'à un moment, j'ai soupçonné les fleurs que notre guide lui offrait tous les matins en bouquet. Madame la comtesse enfouissait son nez dans les herbes sauvages et en humait leurs fragrances avec frénésie. Ah ! Monsieur le curé aurait été tout ébahi de voir son amie se comporter ainsi. Je n'ai jamais eu l’outrecuidance de demander des comptes. J'avais peur de déceler dans le regard de cet homme rustre, de la lascivité ou seulement un brin de moquerie. Comment aurais-je pu dire ? Ne vous gaussez pas de moi Mademoiselle ! Je vous entends d'ici. Imaginez... « Monsieur, auriez-vous l'amabilité de me donner les caractéristiques médicinales de ces plantes stimulantes ? »... Fallait-il que je lâche le mot « aphrodisiaque » ? Mademoiselle, j'espère que cette correspondance sera cadenassée dans un coffret intime, sinon, j'arrête sur le champ ces errances si peu innocentes ! Mais aux souvenirs de ces vacances pittoresques, mes mots se souviennent et en rient encore.

Je reprends le cours de mon journal... En fin de journée, notre route était balisée d'auberges ou de fermes qui abritaient le temps de notre nuitée, notre petite délégation, à savoir, la comtesse, le marquis, le guide, deux muletiers et moi-même. J'étais lasse et cassée de notre pérégrination tous les soirs et partais me coucher dès mon écuelle de soupe bue et mon quignon de pain grignoté. Mes repas étaient frugaux, je n'avais plus la force de mastiquer. Et ce n'étaient certainement pas les remontrances du marquis qui m'auraient encouragée à l'effort ! Cet homme, je vous le disais, est odieux. Que croyait-il avoir sous ses ordres ? Une oie à gaver ? Tous les soirs, il me forçait à siroter un vin du pays, noir, riche, chaud, qui me secouait le corps et m’assommait l'esprit en quelques secondes. J'essayais de me libérer de cette contrainte journalière en fuyant en catimini vers ma chambrée, mais le bras du marquis, rattaché à un colosse de 1m90, stature toute mythologique, d'un geste impérieux, me tendait une chope en terre avec le fruit des vignes mûri au soleil, additionné de miel et d'épices. Avez-vous été déjà ivre ? Le sale homme ambitionnait la fonction de m'abrutir tous les soirs. A croire qu'il ne fallait pas que je visse certaines choses ! Je suis prête à parier, qu'une fois sa tante et sa dame de compagnie, moi en l'occurrence, endormies, le sieur en question partait charmer les gourgandines aux appâts engageants. Oui ! Le marquis est un vicieux et un débauché. Si sa tante savait ! Mais comme mon père me l'a appris, je sais rester secrète. Chez nous, la discrétion est d'or. Savez-vous comment on m'appelait petite ? La tombe. Alors, je buvais son godet. Pas pour lui faire plaisir, non, mais pour ne pas contrarier Madame la comtesse qui est si bonne avec moi, si maternelle, si aimante et si attentive à mes états d'âme.

Nous sommes restés trois semaines. Le soleil était chaud et le printemps avait un air estival. La terre est rude, et la luminosité me rappelait mon île. Durant un laps de temps, j'ai eu la nostalgie de chez moi et j'ai été atteinte d' une langueur morose. Cela faisait trois ans que je n'avais pas vu ma famille. Je savais qu'au-delà de ces montagnes, il y avait la mer, et cette eau m'appelait. La saison pour un voyage en bateau était idéale, je pensais à cette traversée qui m'aurait menée aux miens. Je vais vous révéler une chose qui vous surprendra. C'est le marquis qui m'a proposée de prendre une disponibilité et à notre retour sur Marseille, d'embarquer sur le premier navire en partance pour la Corse. Que dois-je comprendre de cette amabilité ? Charmeur, affable, altruiste, prévenant, compatissant avec les autres, goujat avec moi. Cette gentillesse est une manigance ! J'ai su en confidence par la comtesse, que des fiançailles avaient été envisagées avec la fille du comte de Chanceuil. C'est parfait ! J'ai vu cette pimbêche lors d'une soirée donnée au château de Terre-Vendor, le fief des de Braze. Ils sont bien assortis tous les deux. Donc, le marquis avait été invité avec sa tante dans une résidence des de Chanceuil près de Marseille et il n'avait point l'envie d'être embarrassé par ma petite personne.

Oh ! Il faut que je vous raconte une péripétie. J'ai failli mourir et j'ai été sauvé par une fleur. Nous étions sur une sente tortueuse, escarpée et étroite, lorsque Madame vit une primevère glutineuse prisonnière d'une roche. Cette primula est référencée dans l'encyclopédie de Bergerac de Cluny et, en cette époque de l'année, avait une floraison précoce. Sa couleur était merveilleuse et nous espérions que le gel de silice la saisisse dans toute sa splendeur. Je me suis aussitôt proposée pour la lui ramener. Mettant pied à terre, je suis passée derrière Marguerite, ma mule, pour m'approcher du ravin. Ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'à cet instant précis, une couleuvre a effrayé Marguerite, la faisant se cabrer et ruer de ses pattes arrières. Votre nouvelle amie aurait pu périr dans un gouffre alpin, déchiquetée par les crocs acérés de la montagne, en tombant de l'haridelle. Mais fort heureusement, je n'étais plus sur son dos. Non, j'étais écrasée par une poitrine qui m'enserrait jusqu'à l'asphyxie. Mes oreilles commençaient à bourdonner et j'entendais sourdement Madame la comtesse hurler « Lâche-la ! Lâche-la ! ». Je me disais, mais à qui parle-t-elle sur ce ton ? Figurez-vous, Chère Mademoiselle, qu'elle intimait cet ordre à son bourricot de neveu qui dans son affolement m'avait saisie contre lui et sa force brute me vidait de mon oxygène. Et là, cela n'aurait pas été votre aimable servante qui vous aurait relaté les faits, mais son fantôme ! La fin de l'histoire fut grotesque ! Alors, que je happais l'air à grandes goulées, j'adressais à mon amie un sourire rassurant. Elle avait encore ses petits poings tous crispés. Je lui dis en quelques palabres hachées que je devais ma survie à une très belle fleur, et que j'allais la lui cueillir... lorsque j'entendis un rugissement digne d'un titan. Monsieur le marquis me regardait, les yeux exorbités, rouge comme un coquelicot, à deux doigts de tomber en syncope. Sur le coup, j'ai cru qu'il avait été piqué par une bestiole, mais j'ai bien vite compris qu'il était en rage quand il a tourné les talons en tapant de façon hystérique dans chaque cailloux qui jalonnait son passage et en maugréant des incantations barbares. Je ne le savais pas, en plus, capricieux et orgueilleux. Que fallait-il croire ? Il aurait fallu que je le bénisse ? Que je lui clame des remerciements en alexandrins ? Que je fasse l'impasse sur l'indignité qu'il m'a faite subir ? J'ai tout de même était très très proche de lui, le nez dans sa poitrine dévêtue. Puis-je m'enhardir et vous divulguer une indélicatesse ? Certainement, nous sommes amies maintenant, n'est-ce pas ? Alors, le marquis est poilu. Vous rougissez ? Je me pâme d'aise ! Et ses poils sont soyeux et odorants ; il utilise une lotion parfumée qu'il fait venir des Antilles.

Bon, cessons ces fariboles ! Il m'a semblé que notre retour fut plus court. Je me suis retrouvée sur le quai du port, en présence de mon parrain le chevalier de Ramolino venu me chercher, puis très vite sur le Kallistê, contre le bastingage à agiter mon foulard, à verser quelques larmes, et à fixer le plus longtemps possible les deux silhouettes que je ne verrai plus, le temps d'un été, Madame le comtesse et Monsieur le marquis.

Mon retour dans ma famille fut un immense bonheur. Je vis mes parents toujours sémillants, ainsi que mon frère et sa petite famille. Mes neveux ont grandi et c'est seulement l'aînée de dix ans, ma petite Josépha, qui m'a reconnue. Rien est immuable en ce monde, mais mon village est resté semblable à mon souvenir. Je me suis recueillie sur les stèles des anciens, je suis allée visiter les derniers nés, nous avons partagé des fêtes, honoré nos Saints, j'ai aidé mon frère dans ses livres de comptes. Ma famille a l'un des plus grands domaines viticoles de l'île et mon frère a pris la direction de l'affaire depuis deux ans. Les mois ont été idylliques mais je languissais du domaine de Bois-Doré. Avoir le cœur entre deux lieux est épuisant. On se dépérit de l'absence de l'un, puis lorsqu'on le rejoint, on soupire après l'autre. Et vint le jour des adieux. Je ne m'appesantirais pas sur ce moment, j'en ai encore des sanglots.
Mon parrain me ramena sur le continent et nous primes la route du Berry ; un voyage long et fastidieux.
A Bois-Doré, je retrouvais ma chère amie, pétillante comme à son accoutumé, le bon abbé Verneuil, notre gouvernante Bonne Germaine, la cuisinière Madame Chancioux, le chef jardinier Monsieur Descharette qui me fit visiter la nouvelle serre exotique, armature de verre et de fer, et... vous ne devinerez jamais... notre guide alpin. Ma stupeur me fit bégayer lors des salutations. Il officie comme garde champêtre. Le garnement a en permanence un regard coquin, ce qui déplaît grandement à mon parrain et à l'abbé Verneuil. Ici, la concurrence est rude et Madame la comtesse en est transportée d'allégresse. Friponne, c'est l'adjectif que je lui décerne. Quant au marquis, je le laisse dans les méandres des préparatifs de ses accordailles. Il est retourné en Champagne dans son château. Dans une semaine, nous ferons nos malles et nous prendrons la route pour Terre-Vendor. Je vous raconterai les fastes des réjouissances. J'espère que je ne serai pas sollicitée pour les préparatifs, j'aimerais me retirer dans la bibliothèque du père du marquis, le duc de Clarence. Cette pièce est son antre et nous aimons tous les deux passer de longues heures à commenter nos lectures. Cet homme est charmant, je ne comprends pas qu'il ait pu engendrer un tel héritier !

Mon amie, je vous laisse, mais avant, je souhaiterais savoir si vous m'autoriseriez à vous nommer Aliénor.
Ecrivez-moi, racontez-moi votre alliance avec ce Rodolphe.

Je vous souhaite paix et délices.
Toute à vous, à notre amitié, à notre avenir,
votre amie Eugénie.



8 sept. 2011


La Valette, le 27 juillet 1835


Chère Mademoiselle de Gabeni,


Je prends la plume un peu inquiète de n'avoir à ce jour pas reçu de vos nouvelles. En effet, je vous ai fait parvenir fin avril, une longue missive que vous aviez reçue, je l'espère. J'ose croire que l'absence de votre réponse est due à de trop nombreuses occupations qui accaparent votre temps et non parce que je vous avais d'une façon ou d'une autre, blessée dans mon long épanchement.

Allez-vous bien ? Comment se passe votre été ? Je ne sais si vous rejoignez votre famille quelques jours ou si vous restez aux côtés de la comtesse de Mervent. D'ailleurs, je sais si peu de vous, sauf que votre lettre m'avait intriguée et émue aussi, et que j'avais l'envie que nous puissions devenir amie.

En espérant que cette lettre vous trouve en bonne forme, et dans l'attente de vous lire, recevez toute mon amitié.

Aliénor Beaulieu